« C’est une fontaine perdue et malheureuse. Elle n’est pas protégée, on la laisse comme ça en plein champ, déco Thuuverte, elle est faite d’un tuyau de canne d’un peuplier creux. Elle est toute seule, l’été, le soleil qui boit quand un âne sèche son bassin en trois coups de museaux ; le vent se lave les pieds sous le canon et gaspille toute l’eau dans la poussière. L’hiver, elle gèle jusqu’au cœur. Elle n’a pas de chance comme toute cette terre. »
Jean Giono dans Regain
Et voilà, nous partons, Moute « ma bicyclette » et moi sommes accompagnés par mon frère Damien, pour le premier jour de voyage entre Saint-Urbain et Concarneau. La veille, les aurevoirs avec la famille au complet furent apaisés et me donnent du baume au cœur. La première escale à Concarneau, a pour objectif de fêter le départ avec les amis et de perfectionner Moute, pour le long voyage à venir. Après 3 jours d’arrêt à Concarneau, nous repartons pour Lorient, Redon puis remontons à Rennes aidé par un coup de pouce en train. Je me permets de prendre le train jusqu’à la ville de Split en Croatie, car c’est là-bas qu’a échoué ma précédente tentative de voyage à vélo “Trans-eurasiatique” vers l’Inde. Le train nous a avancé d’environ 550 km en France et en Italie. Ce coup de pouce permettra en principe de “rattraper le printemps” et d’arriver assez tôt en Turquie, pour profiter des floraisons printanières, avant que l’été probablement très sec ne fane la végétation.
Après un dernier crochet en Bretagne, cap à l’est pour retrouver un couple d’amis à Baugé d’Anjou, situé en terre de sorcelleries avec les clochers tors ou vrillés des villages.

Clocher tors de Baugé d’Anjou
Hugo et Camille ont acquis une maison dans ce coin, suffisamment éloignée des villes pour que son prix leur permettent d’accéder à la propriété, avec un niveau d’endettement acceptable. En contrepartie leur dépendance à la voiture en est accru. Derrière leur demeure se trouvent trois abris troglodytes creusés dans le tuffeau, un calcaire tendre, dont le plus profond dépasse les 20 m de profondeur. Hugo utilise le plus petit pour cultiver des Pleurotes, dans des sacs remplis de paille humide suspendus au plafond. Lors des étés caniculaires, de ces troglos émane un air frais salvateur. Sur la partie du terrain où la roche mère affleure, les amis ont planté des crocus à safran. La première année, les pistils-épice étaient bien fades, mais la récolte de 2022 fut plus savoureuse. Nous quittons les amis le lendemain : promis, nous nous retrouverons dans quelques jours pour passer dimanche ensemble.

Les troglodytes de Camille et Hugo
Un dernier crochet dans le nord-ouest nous mène à Bressuire, pour retrouver Adrien et Michel dans leur atelier nommé Véloma https://veloma.org/. Ses deux grands gaillards en salopette conçoivent, construisent et accompagnent à la construction de vélo-logistique. J’apprécie particulièrement leur tandem modulable en vélo cargo, par le remplacement du poste de pédalage avant (qui est couché) par une caisse. Je profite de leur expertise pour rayonner la nouvelle roue arrière de Moute. Adrien doit percer mon cadre pour y souder les fixations de l’étrier de frein à disque! Ça fait mal pour Moute, mais nous faisons confiance aux camarades. Moute améliorée et moi serions bien restés plus longtemps causer et bricoler avec toute l’excellent équipe d’artistes-artisans des ateliers de la Gob ( http://www.lagob.fr/), mais d’autres amis et le printemps nous attendent dans le sud.

Un saut en train nous propulse de Saumur à Clermont-Ferrand.Arrivé en Auvergne, nous prenons la direction d’Echandelon, un hameau perdu aux confins du Puy-de-Dôme et de la Haute-Loire. Ici, un autre couple d’ami a adopté le même raisonnement que Camille et Hugo, pour acquérir une maison à bas prix, mais en haute altitude à plus de 1000 m. Cette première étape, dans le massif central sera coupée en deux, pour économiser mes genoux qui sont fatigués des trop longues distances de la première semaine. Nous décidons de monter le camp par -10°C au village de Coupe-Gorge. Je me réveille le lendemain d’un sommeil réparateur et la gorge intacte. Le matériel a bien fait ses preuves face au froid et aux coupeurs de gorge ! À midi, après avoir pédalé des kilomètres dans la neige gelée, Laura nous accueille dans sa maison chauffée, Moute restera dans la crèche avec les brebis savoyardes. Nous nous retrouvons pour la première fois depuis trois ans, époque à laquelle j’étais passé chez elle en Provence, lors de ma première tentative de voyage à vélo vers l’Inde. Aujourd’hui, sa vie a bien changé, elle est devenue maman d’une petite fille et rénove une maison. Les parents de Laura sont venus pour aider aux travaux cette semaine. La petite est malade et les parents de … arrivent également, nous repartons le lendemain sans trop tarder, laissant Laura à sa nouvelle vie bien remplie.

Nous parcourons plus de 250 km et grimpons 3 fois à 1000 m d’altitude en deux jours, pour rejoindre des amis plus au sud en zone méditerranéenne. Nous traversons le sud-est du massif central, du plateau de la Haute Loire à une vallée de l’Allier entre les monts d’Ardèche et les Cévennes. Le paysage est sublime de calme et de panoramas dégagés. La neige résiste bien, même aux plus basses altitudes et au sommet du parcours, nous hésitons à camper au bord d’un lac de cratère gelé. Mes genoux sont encore un peu fatigués et, au pied d’une montée, je tente l’auto stop. Jack … s’arrête et hésite un peu à la vue du vélo et son chargement de près de 50kg. Jack se laisse rapidement convaincre que Moute est très souple et rentre aisément dans sa charrette à pétrole.

Le vélo dans l’auto
Ce saut de puce de 20 km en voiture, nous transporte brutalement du calme frais des chemins de Stevenson à la chaleur et la circulation intense de la ville d’Alès. Plus loin à l’ouest, nous retrouvons deux amis éleveuses de Brebis qui nous montent en voiture jusqu’à leur coin de paradis au-dessus du bourg du Vigan.
Vous retrouverez plus longuement Émeline, Elsa, leurs brebis et les plantes que ces dernières consomment, dans cet article :
Émeline et Elsa éleveuses de brebis sur Mars.

Elles ont décidé, il y a plus de 3 ans de progressivement élever des brebis en parallèle d’emploi saisonnier dans leur domaine respectif que sont, » l’aide à l’installation agricole et la veille des espaces naturels. «
Après un week-end entre la ville de Montpellier et Mars, Moute et moi partons pour Nîmes où nous devons retrouver une amie qui nous accompagnera à vélo jusqu’à Gap.Mon amie Mélodie, Moute et moi roulons au rythme de 30 km par jour pendant trois jours. Nous empruntons des chemins assez accidentés à une allure d’environ 5 km/h par jour. Le jour suivant nous sommes contraints par un arrêt technique de 4 h à Orange, un autre jour nous commencerons notre journée de vélo à 16 h… Nous en profitons pour bien manger, nous trouvons de beaux endroits pour camper et je repose mes articulations. Mélodie qui avait peur de ne pas être en mesure de suivre le rythme est rassurée ! Pour compenser ces derniers jours de pseudo-repos, l’arrivée de notre troisième étape est bien plus sportive. Notre hôte de ce soir habite quasiment à flanc de falaise et les chemins qui y mènent sont très tortueux et pentus. Un voisin, Stéphane, nous guide gentiment. Nous découvrons les calades, sorte de chemin-escalier dallé de pierre. Nous montons alors nos vélos sur près de 200 m dans des chemins aussi abrupts qu’accidentés. Sans Stéphane, nous n’aurions pas pu monter Moute aussi haut, merci. Arrivé au sommet de l’escalade de la Calade, notre hôte Simon nous appelle, nous sommes allés au minimum 200 m trop loin ! La descente est moins éprouvante et nous arrivons à notre but avec soulagement. Simon est un ami d’amie avec lequel nous partageons un parcours professionnel similaire. Nous sommes tous trois formés en agronomie et environnement, et avons travaillé au sein d’institutions en charge de l’application des directives publiques d’orientation de l’agriculture.
Notre partage d’expériences : Philosophie de comptoir sur l’agroécologie (PCAE) ou « Plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles » en jargon administratif. Vous y lirez quelques-uns de nos sentiments et le naïf « désenchantement » que nous avons vécu.
Nous dormirons cette nuit dans un abri sous roche, à flanc de falaise juste au-dessus de chez lui.

En ce quatrième jour de voyage à deux, nous abordons la première étape digne de ce nom pour plus de 60 kms, qui nous mène de l’autre côté du mont Ventoux à Buis-les-Baronnies. Nous sommes accueillis chaleureusement pour le week-end, chez les parents de Sarah, une amie. Nous rencontrons Virgil, osiériculteur-vanneur et Baril, ancien berger, qui vit avec sa meute de 11 chiens dans les gorges du Toulourenc. À mon grand étonnement, Baril ne reconnait pas et ne mange pas les jeunes asperges abondantes à cette période en Provence.
Vous pourrez lire davantage sur le rapport de Virgil avec les plantes spontanées dans ses parcelles : Virgil, osiériculteur-vanneur à Mollans-sur-Ouvèze.
Le voyage continu vers Gap, nous passons par Eourres « village d’initiative » et les gorges de la Méouge. Au sortir des gorges, nous cherchons à passer la nuit à l’abri et rencontrons Jack et Nicole, producteurs de foin. Après avoir passé la nuit dans le foin, Jack nous emmène faire un tour sur ses parcelles, et je tente d’identifier la composition des récoltes de l’année passée. Pour en connaître plus, aller regardez l’article: Jack, producteur de foin à Laragne.

Arrivé à Gap, nos routes se séparent avec Mélodie, elle rentre à l’ouest et je continu vers l’est avec Moute ma fidèle jument de fer et mes guiboles bien reposées. Direction l’Italie par la vallée de l’Ubaye et le col de la Maddalena. La route est magnifique, entourée de sommets enneigés. Pour trouver un campement après Barcelonette, les montagnes laissent peu de choix et nous devons traverser des chemins boueux pour trouver une place suffisamment horizontale et cachée. Le lendemain, la boue gelée bloque les roues et les patins de frein. Heureusement j’avais prévu le coup et enlevé la majeure partie de la boue qui se brise finalement assez facilement.
Rendez-vous en Italie!

ll crinale della collina protegge questa camera bianca, tutto il lago del cuore.Siamo vittoriosi – in questa resa.Dove qualcuno si posa, s’innalzano colonne che sostengono il cielo.Dove una mano molla la presac’è un uccello che canta. E se l’occhio più quieto indagail labirinto della foglia e il lucido della bacca – le cose aprono segrete fessure e navighiamoin acque così nuove. »
Mariangela Gualtieri dans Brestia di giola
Traduction Française :
« La crête de la colline protège cette chambre blanche, tout le lac du cœur.Nous sommes victorieux – dans cet abandon.Là où quelqu’un se repose, des colonnes s’élèvent qui soutiennent le ciel. Là où une main se détache un oiseau chante. Et si l’œil le plus calme se penche sur la question le labyrinthe de la feuille et de l’éclat de la baie – les choses s’ouvrent des crevasses secrètes et on navigue dans des eaux si nouvelles. »
Mariangela Gualtieri dans Brestia di giola
Les premiers kilomètres italiens sont aussi impressionnants qu’il y a trois ans. La route en lacets serrés descend rapidement dans une vallée abrupt où de récentes constructions semblent déjà abandonnées. La route promet d’être reposante, toute en descente, jusqu’à ce que le vent s’y oppose… Pietro, un ami rencontré lors d’un précédent tour en vélo m’accueille 4 jours chez lui à Mondovi. Le soir même, à peine arrivé, je suis embarqué dans l’autre sens pour un bal traditionnel de danse française et bretonne. Comme pour éviter d’être trop rapidement dépaysé, les débuts des conversations tournent souvent en « Vous êtes français ? » et continuent dans ma langue natale. Les patois du Piémont se situent entre le Français et l’Italien, et plus on se rapproche de la frontière…plus celle-ci devient floue. » Cet état de fait est assez répandu quand on pense aux pays traditionnels, Basque, Catalan, à la culture Celtique, en France, mais aussi partout ailleurs. Ces cultures transfrontalières permettent de contrecarrer en partie les crispations identitaires et belliqueuses… La suite du week-end, en écho à ces divagations, est un moment d’action symbolique pour la paix. Mon ami Pietro organise avec l’association MondoQui la plantation d’un arbre symbole de paix et de résistance, le kaki de Nagasaki. Cet plant provient des graines d’un des seuls arbres qui a résisté à la bombe atomique de Nagasaki. Nous le plantons donc solennellement après avoir étendu le premier drapeau de la paix à avoir été déployé devant le Vatican.
Le jardinage de ce weekend est plus longuement raconté ici, un weekend avec Pietro.

Après 150 km à travers les collines du piedmont et la plaine d’Alessandria, nous retrouvons Valerio et Michelle qui plantent des arbres. Ils s’installent depuis un an sur une ferme pour créer un système de culture auto-fertile qui n’aura pas besoin d’amendement à maturité. Ce système repose sur l’implantation dense de ligneux en bande entre lesquels peuvent croître d’autre végétaux tels que des légumes et petits fruitiers.
Vous retrouverez notre rencontre détaillée sur cet article : Valerio et Michelle plantent une agro forêt à Brignano Frascata.
Levé à 4 heures du matin pour pédaler jusqu’à Bologne, les collines de Ligurie se montrent dures avec mes mollets et contrastent avec la plate plaine qu’elles surplombent. Les arcades et les teintes pourpres de Bologne lui donnent un charme exotique et confortable. Confortable comme les Camere d’Aria, une sorte de centre social hyperactif où j’habiterai plusieurs jours. Ici, cohabitent et collaborent des personnes de tous horizons dans des travaux divers, tels que la réparation de vélo et d’ordinateur, la couture, la menuiserie et surtout les arts du théâtre et de la musique. C’est en discutant entre résidents que nous nous rendons compte de la valeur de lieux comme celui-ci, qui ne brandissent pas d’étendard mis à part, peut-être, ceux de la tolérance. Au lieu de prêcher, nous bricolons et mangeons avec des gens du quartier et du monde entier.

Après des au revoirs toujours aussi difficiles, arrivent une belle plaine verte puis la côte touristique de l’Adriatique qui font comme une grande descente, le vent dans le dos. Les cyclistes du dimanche me saluent et des inconnus me donnent des pièces. La côte sableuse entre Rimini et Ancôna déroule sont mur d’hôtel et résidence. C’est un crève-cœur quand j’entrevois la flore remarquable qu’elle recèle sur les rares parties de dunes non construites. Arrivé avec un jour d’avance à Ancône, j’en profite pour vous écrire ces lignes. Ici, le relief concentre le béton à ses pieds et permet de s’en extraire pour scruter l’horizon de l’Adriatique à la recherche des Balkans.

Port d’Ancône et ferrys

Ciao, Mathieu à bicyclette.
La carte du chemin accompli :
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