« La surabondance de bien mène à la rareté de temps. Le temps se raréfie car il faut le temps de consommer, et de se faire soigner et parceque l’accoutumance à la production rend plus coûteuse encore la désaccoutumance. »
Ivan Illich dans La Convivialité
Arrivé au petit matin, le lever du soleil peint de rose la côte Croate, faite de montagnes escarpées qui plongent dans l’Adriatique. Face à nous, la ville de Split impose son large front de bâtiments en pierre couleur crème. De ces bâtiments antiques, émane une douce puissance des siècles, qui me procure un recentrage bénéfique, avant une première plongée vers l’orient. Les retrouvailles avec les amis de Split, Ane et Nico, sont joyeuses. Ils sont fiers de me montrer leur maison rénovée depuis notre dernière rencontre. Les parents de Nico habitent au-dessus, ce qui reste classique en Croatie, où la femme rejoint la famille de son mari, et habite souvent la même maison. Mes amis travaillent dans l’hôtellerie, mais aident leur famille d’agriculteur et leurs amis dans les champs, par solidarité et pour compléter leurs revenus. Nous descendons, Moute et moi, la côte Croate en direction du sud. Elle devient de plus en plus abrupte, et les paysages se verdissent de pins, qui contrairement aux chênes et autres caducs qui poussent plus au nord, conservent leurs feuilles. Une rupture de paysage se produit après le corridor de Neum, qui est l’unique accès à la mer de la Bosnie Herzégovine. La première différence est libératrice, nous avons enfin un horizon dégagé, car tout le long de la frontière Croate les îles barrent la vue de l’horizon de la mer. La végétation continue de changer, les orangers apparaissent, des plantes succulentes croissent sur les falaises et des forêts de cyprès d’Italie s’étendent à perte de vue.



Au Monténégro la baie de Kothor et le lac de Shkodra sont riches en panoramas impressionnants, et offrent une transition vers l’Albanie. Les klaxons chantent plus fréquemment, les emballages et les déchets sont plus libres et quelques chiens errent.

En entrant en Albanie, Mout et moi sommes réellement dépaysés. Partout au bord des routes, des individus qui semblent perdus attendent… Ils attendent les bus qui, à la campagne, sont invariablement à destination de Tirana, la capitale. Les klaxons chantent de plus belle et le non usage des rares poubelles, amène à décorer les arbres et les rivières de plastique coloré.
La ville de Shkodra est grouillante d’activité, la circulation devient plus vivante. Les mosquées et les églises semblent se planter droites, à distance respectable les unes des autres. Nous sortons de la ville en direction de l’ouest. Nous avons rendez-vous avec des éleveurs dans les montagnes frontalières avec le Kosovo. Une seule route mène à Kukes depuis Shkodra, je m’attends donc à un trafic assez dense, mais il n’en est rien. La route monte et s’enfonce vite dans de petites montagnes rouges, dont quelques sommets enneigés s’annoncent vers l’est. La faible circulation s’explique peut-être par le peu d’habitants qui résistent dans cette région. Mes sens sont donc pleinement disponibles pour sentir les sublimes paysages sur cette petite route paisible. Trouver l’hospitalité demande de s’y prendre suffisamment à l’avance, pour se rendre à la rare maison, qui se trouve au bout d’une piste défoncée de plusieurs kilomètres. Le pas de la porte franchie, le rituel est immuable. Le père invite à s’asseoir près du feu. Un café turc et son raky (eau de vie des Balkans) est servi. Une fois les verres vidés, je dois me rapprocher du feu. Je crève rapidement de chaud, les plats arrivent sur la table. Nous mangeons invariablement des oignons ou de l’ail nouveau, du fromage, des poivrons ou du concombres fermentés, du pain, du yaourt et des pommes frites. Ensuite vient le plat de mouton bouilli accompagné du pain de semoule dure. En guise de digestif, un ou plusieurs verres de raki, Gëzuar (santé) et… au lit.

Au bout de 250 km à tourner dans les montagnes d’Albanie, nous voilà déjà arrivés à Krumë. En ce dimanche, Muharrem l’éleveur avec lequel j’avais rendez-vous, est descendu de sa montagne pour m’y emmener. Les premiers mots que nous échangeons, quand nous entamons la piste défoncée de 15kms, qui mène chez lui, vont au gouvernement. Tout le monde est unanime sur ce sujet, les gouvernants sont corrompus et n’assurent pas leur rôle pour la construction de routes, en l’occurrence. Arrivé à la ferme familiale, je fais connaissance avec sa grande famille et notamment ses frères, qui élèvent ensemble des Chèvres, Moutons et Vaches. Vous en saurez plus sur Muharrem et son élevage en consultant l’article. Muharrem et sa famille, éleveur dans le Has Albanais.
Le lendemain Muharrem et son ami vont acheter du maïs pour leur bétail au Kosovo, où ils le trouvent à meilleurs prix. Je prends leur chemin. À la frontière kosovare, l’étendue de la « plaine » agricole est éloquente. La différence avec le nord de l’Albanie tout en relief est radical. Les villes du Kosovo sont étendues et très marchandes. La vieille Prirzren, du sud du Kosovo vend des robes de mariée et des bijoux en continu sur près de deux kilomètres d’une de ces avenues principales. Les routes sont encadrées de bâtiments neufs sur plusieurs dizaines de kilomètres, en sortie des 3 villes que nous traversons. Les villages tout aussi étendus, sont par endroit déserts, leurs propriétaires se sont exilés à l’étranger pour gagner l’argent qui a servi à les bâtir. Quelque chose ne va pas dans ce paysage… Trouver un coin pour passer la nuit s’avère difficile, ici une plaine sans arbres et des maisons individuelles collées les unes aux autres, ne favorisent pas l’hospitalité. Moute et moi sommes finalement accueillis, dans une ancienne pharmacie par un aide-soignant. Il m’explique pourquoi je ne vois que des bâtiments neufs. Je l’avais presque oublié, le Kosovo fut en grande partie détruit en 1998, par une guerre comparable à celle qui meurtri en ce moment l’Ukraine. Entre ces plaines, une route grimpe tout droit sur la montagne de Jezerc. L’altitude rudement acquise nous donnera l’énergie nécessaire, pour nous lancer jusqu’en Macédoine. Skopje, devenue capitale de la Macédoine impose son importance, par d’innombrables et importantes statues des grands de cette jeune république. Les montagnes qui entourent la ville sont taillées de gorges, dont celle de Matka que je visite. Une fleur violette m’intrigue, c’est une Gesneriaceae, famille de végétaux plutôt tropical détonne dans cette région de sommets enneigés. Il s’agit de Ramonda nathaliae, espèce à répartition restreinte, au nord de la Macédoine, du nord et sud de la Serbie.



La route qui mène à Thessalonique semble abandonnée depuis longtemps. Elle descend le milieu de la Macédoine au côté de l’autoroute. Les vastes vignes produisent un vin très consommé dans l’ex Yougoslavie. Dans le sens inverse, Ozanis viens d’Ankara et se dirige vers la Hongrie. Il cherche un endroit où camper, je lui propose qu’on aille frapper à la porte d’une maison, pour faire connaissance avec les locaux. Il n’a jamais fait cela et est enchanté de l’accueil de notre hôte. Ozan est cordiste en Turquie, un métier risqué mais qui paye bien, enfin toujours moins que le SMIC français. Il est content de visiter l’Europe, d’autant plus que les conditions d’entrée dans l’espace Schengen, sont plus dures pour lui, que moi pour entrer en Turquie. Deux jours plus tard, j’arrive à Thessalonique, le dimanche saint. La pâque Orthodoxe est la plus importante des fêtes, la ville est extrêmement calme. Je devais dormir dans un centre social qui est bien-sûr fermé, et la jante de la roue avant de Moute trouve ce moment approprié, pour « faire une bulle ». Je dois donc m’arrêter pour la changer. Heureusement, j’ai découvert le principe des hoStel, et loue donc un lit pas cher. Ici, je fais connaissance 3 jours durant, avec des jeunes baroudeurs qui sillonnent l’Europe en bus, d’auberges de jeunesse en auberges de jeunesse. Nous vivons le voyage assez différemment. Ils semblent connaitre avant tout, les villes et principaux lieux touristiques, alors que Moute et moi connaissons surtout les campagnes, et évitons les zones touristiques et sur peuplées. La roue de Moute réparée, nous repartons rapidement pour la Turquie. Le temps orageux, et ses 3 jours à Thessalonique, nous incitent à tirer droit en restant au maximum proche de la mer, pour éviter de se faire arroser par les orages, qui mouillent les montagnes. Les kilomètres défilent sous la nouvelle roue de Moute. Nous découvrons des sources chaudes sulfureuses relaxantes et dépaysantes, puis un bout de côte, qui me renvoie dans le Finistère Nord, avec son panorama de plages de sable blanc interrompu de pointes rocheuses.

À première vue, la flore est similaire à celle de mon pays natal. En parcourant assidûment les dunes et rochers, je découvre pourtant des buissons et des papyrus bien originaux.









Pour éviter la côte de la Trace turque qui est, paraît-il, en grande partie privatisée, je décide d’entrer en Turquie plus au nord à Edirne. Pour y arriver, pendant plus de 150 kilomètres, on longe le fleuve de l’Evros qui forme la frontière Gréco-Turque . Ici la frontière est contestée, la Turquie a obtenu en effet un bout de territoire à l’ouest du fleuve frontière Evros/Meriç. Le triangle de Karaağaç est le seul point de disputes Gréco-Turque sur leur frontière terrestre. Ce bout de frontière de 12kms de longueur, est trop connu pour le mur érigé sur cette frontière orientale de l’Union Européenne. Il reste un malheureux point de passage, pour les exilés du Moyen-Orient et d’Afghanistan. En tant qu’européen, je n’ai pour ma part, aucune difficulté à entrer en Turquie gratuitement et sans visa ! L’historique ville d’Edirne, ancienne capitale des Turques avant la domination Ottomane, est splendide. La magnifique mosquée Selimiye domine toute la ville, et est bien visible depuis la Grèce qui se veut exclusivement de confession Orthodoxe.
Peu avant d’arriver à Edirne, de l’autre côté de l’Evros/Meriç, est exposée la plus grande poêle à frire du monde. Elle pourrait faire du bruit dans une belle casserolade, de quoi faire avancer la France.

Joyeuses journée internationales des travailleurs à toutes et tous !
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