Du 1 juillet au 11 septembre 2023
À la sortie de Tbilissi, la route militaire nous dirige droit vers la Russie à travers les montagnes du grand Caucase. Cette route fut construite par la Russie pour conquérir les territoires au sud Caucase, elle lui servira pour tous les conflits armés du milieu du 19ème siècle à nos jours. La mère de mon ami Giorgie a vécu l’un des derniers en date, la guerre civile de Géorgie de 1991 à 1993. Elle garde de cette période, le souvenir d’une famille soudée, elle était heureuse d’être tout le temps avec ses proches, ils ont fait face ensemble au manque d’eau, d’électricité, de nourriture et au danger des rues la nuit. Sur cette route, le commerce avec la Russie reste intense au regard du nombre de camions qui l’empruntent. La grande dépendance de la Géorgie à son imposant voisin, explique peut-être les frilosité de ses politiques à contrarier Poutine.A l’approche du col au niveau du monument de l’amitié Russo-géorgienne, le panorama grandiose s’ouvre sur une gorge verdoyante et un sommet enneigé. Un peu plus loin, des falaises gigantesques encadrent la ville de Stephansminda. Je vais le balader entre l’église de la Trinité de Guerguéti, et le glacier du mont Kazbek. Les premières fleurs d’altitude qui s’épanouissent.

L’église de la Trinité sous un cheval de berger




Quelques fleurs du Caucase début juillet.
La frontière Russe n’est plus très loin, mais la route qui y mène est bien abîmée. Les douaniers me font passer le classique et long interrogatoire. Ils veulent tout savoir de ma famille, de mes contacts en Russie, de mes employeurs etc… Ils noteront même le code IMEI de mon téléphone pour pouvoir me suivre à la trace au cas où.Les Russes du sud sont incroyablement généreux et en particulier les Tchétchénes. Plusieurs fois par jour, des voitures roulent à mes côtés, et me tendent par leur fenêtre des sacs plein de vivre. A chaque passage dans un village, je dois prendre les plus petites rues pour en sortir sans me faire inviter 10 fois à déjeuner. Quand la nuit se présente, les Tchétchénes m’invitent spontanément chez eux. Une fois ma bicyclette Moute posée, j’entre dans la dictature de l’hospitalité. La douche, le dîner, la pause télévision en anglais pour que je comprenne bien la propagande pro « opération spéciale », et le coucher s’enchaînent au rythme des ordres du père de famille. Après le bocage Tchétchène, le paysage devient plat et progressivement aride. En son milieu, le premier désert de dunes d’Europe s’étale d’année en année, il est le résultat du surpâturage. D’immenses essaims de criquets troublent le ciel sur des dizaines de kilomètres, et des boules de plantes sèches traversent la route en roulant. Seul le delta de la Volga irrigue vraiment cette etendue, le long de ses larges bras sont fixés des villages de maisons en bois colorées. Vladimir m’apprend à pêcher la carpe, pour donner à manger à son petit chat qui fait des trous dans ses chaussettes.

Au Kazakhstan, l’influence de la Volga est toujours présente. Les chameaux en grands nombres profitent de la végétation verte du Delta. Très vite, la steppe désertique reprend ses droits. Les chameaux se cantonnent paradoxalement aux zones les moins sèches, tandis que l’on rencontre les chevaux dans des zones arides. Quand à toute vitesse, nous surprenons les chevaux libres, ils partent au galop et nous parcourons quelques instants les grands espaces ensemble. Dans ce désert, je me prends à rêver de la mer Caspienne, j’imagine une grande plage de sable baignée par ses eaux. Au bout d’une piste de sable d’une dizaine de kilomètres, je me baignerai. Pas de chance, la baignade est interdite et … impossible. La mer/lac est à l’étiage, elle s’est retirée 2 kilomètres plus loin. Le lac Caspien est la plus grande étendue d’eau coupé des océans au monde. Comme# tent# d’autre lac, il est en voie d’assèchement, son niveau a baissé de 1,5 m en 20 ans, et les prévisions annonces -18 m pour la fin du siècle. Cette baisse de niveau est directement liée à la hausse des températures, qui entraîne l’évaporation de ses eaux.1


Avant d’atteindre la ville d’Atyraou, nous traversons des champs de pétrole, qui est extrait grâce à l’électricité. Le pétrole est dans le sol mais plus sur la route. Plus de 100 kms de route non asphaltée, au relief de type « taule ondulée » nous mal mène, mais Moute tient le choc. La ville d’Atyraou est le terminal des gisements pétrolier du nord de la mer caspienne kazak, elle attire une foule expatriée, qui travaille pour les compagnies pétrolières. Ironie du sort, la baisse du niveau de la mer Caspienne menace l’exploitation de ces gisements pétrolier. Les bateaux n’auront bientôt plus assez de fond pour transporter le brut. Comme autour de la mer d’Aral, ce sont les populations et les écosystèmes qui pâtissent le plus du recul de la mer ; d’immenses surfaces de zones humides, cruciales pour tous les êtres vivants de la région disparaissent et la situation sanitaire général se dégrade.
A partir d’ici, la steppe désertique s’étend sans interruption sur plus de 800 kms. Au début de cette traversée, je rencontre Louis un Brésilien de 54 ans, qui fait le tour du monde en vélo électrique avec son chien Belomiro.2 Louis vient de travers la Russie comme moi. Son drapeau Action Antifasciste flotte fièrement au-dessus de la remorque de Belomiro. Les Russes sont complètement d’accord avec lui, car ils combattent les fascistes Nazis en Ukraine…Le vent souvent favorable nous pousse dans le désert, mais nous sommes obligés de pédaler encore et toujours pour nous faire assez d’air. Dès que nous devons nous arrêter, le cruel soleil s’abat dangereusement sur nos têtes. Le passage en Ouzbékistan est rude, un grand « Good luck » écrit sur le poste frontière nous met en garde. La difficulté ne tarde pas à apparaître : la route principale est totalement défoncée, elle le restera sur plus de 300kms. Le nombre des trous et des bosses est tels que les poids lourds doivent rouler au pas, et les voitures font des zigzags, pour trouver les endroits moins cabossés de la route. Nous empruntons le plus souvent, les pistes de terre parallèle, car nous préférons leurs grandes bosses, qui nous font faire du rodéo aux nids de poules de la route qui nous tabasse. A mi-chemin de ce tronçon, un campement surgit derrière des talus, les travailleurs chinois qui construisent la nouvelle route habitent au milieu du désert. Le campement se réduit à quelques préfabriqués en guise de dortoir et un conteneur comme réfectoire.

Les autres habitants du désert sont plus discrets. Les plantes sont sèches, et mon adresse de botaniste ne me permet pas de photographier les animaux. Je vous présente donc les animaux écrasés aux bord de la route, qui sont moins réactifs. Ils ont comme point commun d’être de la même couleur que le sable. Les végétaux sont semblables à ceux que l’on trouve sur nos dunes bretonnes, ils sont adaptés au sec du sable et du sel. Ils sont donc souvent recouvert de poils ou de pruine qui réfléchit le soleil ou stockent de l’eau dans leur tissu.















Les véritables habitants du désert (ou ce qu’il en reste) en été.
Dans ce paysage propice aux réflexions, je pense aux ouvriers agricoles en Bretagne, dont j’ai fait partie. Sous les tunnels maraîchers de fraise ou de tomates, sans courant d’air, nous souffrions plus de la chaleur, que ce que je supporte ici dans le désert Kazak. C’est notamment, grâce à ces travailleurs en exiles en grande précarité que vous pouvez manger des légumes si rafraîchissant.
Cette chaleur diurne laisse heureusement place à la fraîcheur nocturne. Trouver un campement est très simple dans le désert, la place ne manque pas. Nous trouvons souvent de petites dépressions, des fourrés de saxaule ou encore mieux : des lits de rivières asséchées. La plupart de nos campements sont magnifiques. Nous nous sentons un peu protégés par la petite aspérité à laquelle nous nous attachons, mais le regard peut s’évader au loin dans l’infinité des nuances de jaune et de gris du désert. Ces campements pourraient être propices aux contemplations méditatives ou à la réflexion, à l’écriture. Malheureusement, le repos du soir venu, l’écran hypnotique de mon téléphone séquestre mon attention. Nous avons beau être perdus, mon téléphone lui trouve du réseau. Aspirée par les articles de presse que me propose mon moteur de recherche, je passe mes soirées à m’informer de ce qui se passe aux quatre coins du monde. Dans ma tente bien arrimée à la terre d’Ouzbékistan, mon cerveau se remplit d’informations largement impertinentes pour mon voyage en Asie centrale. Au bout de quelques semaines, je me sens déconnecté de ce voyage à vélo si beau. La journée, ce sont les podcasts et la musique qui divertissent mon esprit. Je me sens hors-sol et déposée de mon temps de cerveau disponible, pourtant si vaste en ce moment. Vous comprenez maintenant pourquoi vous lisez cet article plus de trois mois après que ces aventures se sont déroulées. Il m’aura fallu une intoxication alimentaire pour me sortir de ma dépendance aux articles de presse choisis par « Google » et vous écrire ces lignes.
Ce début d’aliénation n’est peut-être pas étranger à l’agacement que je commence à éprouver sur cette piste défoncée qui n’en finit pas. Louis et moi décidons de nous séparer. Il doit se reposer pour digérer l’eau vicieuse du désert, qui lui joue des tours, et je veux précipiter ma sortie loin du soleil qui me tape sur les nerfs. A la vue de l’horizon vert des terres irriguées, l’hostilité du désert m’explose à la face. Je suis sonner, ma gorge se sert. J’ai lâchement laissé derrière un camarade qui doit souffrir. Comme pour me consoler, la route qui mène à la mer d’Aral est aussi en piteux état, et la chaleur est encore plus étouffante que dans la steppe désertique. Suite au recule drastique de la mer, la couverture forestière a diminué de près de 90% depuis 1960, ce qui rend l’ombre très rare. L’un des arbustes les plus commun ici est le Saxaul (Haloxylon sp.). Il appartient à la même famille que vos épinards. Plusieurs fois, des habitants me recommandent de le couper pour en faire du feu, « ça brûle bien! » me dit-on. Malheureusement, cet arbuste endémique d’Asie centrale est en danger. Bien que sa coupe soit interdite au Kazakhstan, l’entreprise française Orano (ex Areva) a obtenu en 2019, l’autorisation d’exploiter plus de 300 ha d’une forêt de Saxaul, pour extraire l’uranium qui se trouve sous elle. 3
Après avoir parcouru plus de 100 kms depuis la route principale, nous arrivons à Moynaq, ancien plus important port de pêche de la mer d’Aral. A défaut de mer, les habitants résistants vivront bientôt de l’extraction du gaz découvert tout proche. Du haut d’une falaise abandonnée par la mer, le drame du désert s’étale à perte de vu… Ne vous méprenez pas en lisant les annonces du « retour de la mer d’Aral », elle est en quasi totalité sèche. Seul un barrage au Kazakhstan à permis de contenir les eaux d’un delta qui l’alimente et ainsi sauvegarde ses écosystèmes.

Grand bateaux de pêche et ma petite bicyclette Moute
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Grande mer vide
Moute et moi remontons le fleuve Amou Daria, vers les oasis millénaires de Khiva, Bukhara et Samarcande.
Au début du chemin, nous voyons les anciennes parcelles cultivées recouvertes d’une sinistre couche blanche de sel, et colonisées par les tamaris tout en fleurs roses. Après la traversée de l’Amou daria, étonnamment large et agitée à seulement 200 kms de la mer d’Aral, nous découvrons enfin une véritable oasis. Les vergers de pommiers sont luxuriants, et les champs de coton vastes. Des canaux gigantesques distribuent l’eau loin du fleuve. La vétusté de ces canaux sont mis en cause dans le gaspillage de l’eau. Entre les rangs de pommiers sont systématiquement implantées des cultures fourragères, principale la luzerne et le maïs. Ces cultures fourragères sont soupçonnées de consommer une grande partie des eaux du fleuve, au même titre que le coton. (Ref)
Le centre historique de la ville de Khiva m’étonne, les poubelles à tris sélectifs et les bancs sont partout dans la ville musée, alors que ce mobilier est rarissime en l’Ouzbékistan. Sur la route de Burkhara quelques murailles de briques témoignent des anciennes villes qui jalonnaient cette voie millénaire. Une grosse berline brune s’arrête devant moi, un homme en costume blanc immaculé en sort, suivie de quatre gardes du corps. Il est l’administrateur en chef du district. S’en suit un interrogatoire à la Russe. Ces questions tari, j’en profite pour me renseigner sur ce monsieur. A quelle partie politique appartient ils ? Il esquisse un sourire et me répond qu’en Ouzbékistan, ça ne fonctionne pas comme ça. En effet, seul le président de la république est élu au suffrage universel, et aucun parti politique est en opposition avec le pouvoir. Quelles sont ses objectifs pour le district ? Construire une nouvelle ville et augmenter le prix d’achat du coton aux paysans. Cette scène se répétera souvent en Ouzbékistan, ses maires et petits préfets appelés « hokims » m’interrogent partout, dans la rue, dans un magasin et jusque chez mes hôtes le soir. Avec leurs regards soupçonneux et craintifs, ils ne comprennent pas ce qu’un touriste fait dans un village le soir. Ils veulent systématiquement m’envoyer à l’auberge la plus proche. Les voitures brunes de cet hokims se démarquent, d’autant plus que les seules voitures qui roulent en Ouzbékistan sont des Chevrolet blanches.4
A Bukhara, je découvre que la ville a été bombardé, il y a 100 ans par l’armée rouge et à Samarcande, je m’interroge sur la restauration des monuments.

Mausolée des Samanides construit vers l’an 900 après – J.C. à Bukhara.




L’obtention du visa Tadjik prend plus de temps que prévu, j’en profite pour découvrir la campagne au sud de Samarcande. La famille de Farukh m’accueille pour une semaine reposante. Découvrez quelques manières de cultiver les oasis avec cette lecture : Des vaches dans les vergers de Samarcande.
Les montagnes abruptes et brûlées par l’été du Tadjikistan me surprennent, car j’ai toujours en tête le Caucase verdoyant. A Douchanbé, je retrouve un ami que je n’ai pas revu depuis 6 ans. Après être rentré dans son pays, il a rapidement été enrôlé pour deux ans de service militaire, l’alternative aurait été de payer deux mille dollars. Au sud de Dushanbe, des hautes collines cultivées et pâturées sont entre coupées de gorges. Passé la montagne, la route suit le fleuve Panj forme la frontière avec l’Afghanistan. La roche rouille abrupte ne laisse pas d’accroche à la végétation. Seul quelques mousses végétales sèches noircissent les montagnes. Les villages-vergers sont de véritables petits paradis perdus au milieu des montagnes sèches. Début septembre, le poids des fruits fait plier les branches des arbres. Au début de mon parcours en aval du fleuve, les Pistachier dominent, mais ils disparaissent dans les gorges au profit des figuiers et grenadiers. Après la ville de Kalaïkum reste les mûriers noirs, les abricotiers, les pommiers et les noyers. Enfin, au jardin botanique de Khorog je retrouve la pomme originelle (Malus sieversii) qui est l’espèce mère de nos pommiers domestiques.Arrivé dans un village-verger le soir, je m’adresse au premier regard bienveillant avec les mots camping, palatka. Un enfant est rapidement dépêché pour me guider vers une place pour la nuit. J’ai parfois l’impression d’être une bête qui suit mes bergers, les enfants confondent Moute ma bicyclette avec une vache, et lui donne des coups de bâton pour qu’elle continue d’avancer. Les habitants sont toujours adorables, ils veulent me connaître et me servir. Le thé et le kéfir de lait suivis de la soupe consistante me sont souvent offerts. Dans leur jardins, sous la fronde des arbres magnifiques, bercés par la rivière qui gronde et émerveillé par le ciel étoilé encadré des montagnes, le sommeil me gagne.








Une mousse bryophyte de la vallée du Panj
La route avant la ville de Khorog est en chantier, je roule dans la poussière et les trous. Les rares camions et voitures qui passent par vague soulèvent des nuages de poussière suffocants. Les yeux fermés en apnée pour ne pas m’étouffer, je me souviens de mon premier boulot, l’arrachage des bâches en plastique noir après la récolte des échalotes. Deux choses rendent plus difficile de rouler ici que « faire les échalotes » en Bretagne. D’abord, l’absence de gortozenn du patron (goûté tôt le matin) pour faire passer le gout de la poussière, puis l’absence des copains pour transformer la fatigue en fou rire.
Dans chaque village des dizaines de « Hi! », « Hello! », « How are you?! », « What ‘is you name?! » me sont lancés par les enfants sur la route, ou loin dans les jardins. Sur l’autre rive, à, à peine un jet de pierre de la nôtre, les petits Afghans se baignent ou jouent sur la plage, et les plus grands me hèlent et agitent leur bras en grands signes amicaux.
Il y a maintenant une semaine que je longe cette rivière frontière, j’oublierai presque que ce qui sépare ses deux rives n’est pas simplement la rivière. C’est la rentrée des classes, dans la ville tadjike de Khorog, le lycée accueille les filles comme les garçons. En face en Afghanistan, à douze ans passés les filles sont désormais condamnées à rester confinées au foyer pour préparer la nourriture qui manque dans le pays 5
Mathieu à bicyclette
Liens :
- https://www.courrierinternational.com/article/changement-climatique-la-mer-caspienne-connaitra-t-elle-le-destin-de-la-mer-daral ↩︎
- https://www.instagram.com/pedalandonahistoria/ ↩︎
- https://novastan.org/fr/kazakhstan/orano-va-raser-une-foret-protegee-pour-exploiter-une-mine-duranium-au-kazakhstan/ ↩︎
- https://novastan.org/fr/politique/pourquoi-louzbekistan-est-loin-detre-une-democratie/Ref ↩︎
- https://www.amnesty.org/fr/location/asia-and-the-pacific/south-asia/afghanistan/report-afghanistan/ ↩︎
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