Accrochées aux pentes les plus abruptes, les cultures de thé arrivent jusqu’au coeur de la petite ville de Rize, sur la côte Turque de la mer noire. De mosquées en terrasses de café, ma recherche de quelqu’un qui pourrait m’employer à la récolte du thé, me mène à l’usine communautaire de Rize, de la compagnie d’état Çaykur. Ma photo est déjà arrivée ici, un chauffeur me reconnaît immédiatement. Mon souhait de récolter le thé déclenche les rires d’une trentaine d’ouvriers. Bientôt le bruit que je suscite porte ses fruits, et je suis convoqué dans le bureau du directeur de l’usine pour rencontrer Kadir, il est prêt à me recevoir et me faire travailler.

Kadir à 56 ans, il est cariste dans l’usine communautaire, et possède comme la plupart des ouvriers, des parcelles de thé. Il vit chez ses parents et n’a pas de famille pour l’aider. Comme la main d’œuvre manque, il est en retard sur les récoltes, et a donc encore du travail. Le premier jour, on reste à l’usine en attendant… Je ne comprendrai jamais quoi. Cette semaine, je passerai toutes mes soirées à l’usine à boire du thé avec ses collègues. Les heures passent et Kadir fini par m’emmener voir les cueilleuses de thé, qui finissent leur travail. C’est jour de paie, comme tous les 9 jours, les cueilleuses sont payées en liquide. Elle reçoivent près de 350€ pour 100 heures de travail. Je travaillerai cette semaine avec elles : Kesban, Fadıne, Fatima, Miriam, Gökdeniz, Onur, Eda, Hamet, Mert, Abdurrahman, Asiye, Hatice, Nesim. Nous récoltons en une semaine, un peu plus de 8 tonnes de thé frais qui produiront environ 400 kg de thé sec.

La récolte s’apparente à la taille des haies. Dans les moments de silence, le son des cisailles des cueilleuses qui coupent le thé, me rappelle le son de l’herbe qui craque sous les dents des ruminants, un tintement métallique en plus. Ma tâche consiste essentiellement à recueillir leurs sacs, remplis à craquer comme les panses des vaches, puis de les vider en tas. Les cueilleuses remplissent ses sacs appelé « poşa » dans les parcelles les plus abruptes, d’où l’on doit remonter le thé à dos d’homme jusqu’à la voie d’accès. A l’inverse, quand le chemin se situe en bas de la parcelle de thé, les sacs sont pleins, lourds et ronds pour mieux dévaler les pentes. Dans les parcelles les plus horizontales, les cueilleuses remplissent ces sacs sans tasser le thé. Ces considérations maximisent le transport à dos d’homme, sans pour autant tuer ce dernier. Enfin, pour les parcelles situées à proximité d’une maison, les sacs pleins de thé peuvent être déplacés, par les nombreux petits téléphériques rustiques.

A la mi-juin, les parcelles de thé sont quasiment toutes récoltées, et donnent au paysage l’allure d’un immense jardin vertical de topiaire bien taillé. Des bosquets exubérants d’Aulne, de Hêtre et de Frêne gigantesques jaillissent çà et là de ces cultures, rappelant la forêt originelle exubérante.

Le climat subtropical du sud-est de la mer noire, favorise cette végétation d’où sont originaires quelques-unes de nos plantes les plus invasives, telle que le Rhododendron du pontique (Rhododendron ponticum) « komar ağacı » par kadir qui étouffe les sous-bois Breton, où le Laurier cerise (Prunus laurocerasus) nommé ici « kadaraş ». Ici ces plantes ont de la concurrence et sont à leur place définie dans l’écosystème. Le Rhododendron du pontic occupe temporairement les clairières forestières et sous-bois. Le Laurier cerise est présent en lisière plus bas, et souvent proche des villages. Quelques pied de Phytolaque (Phytolacca sp.) on été remarqué en bord de parcelles.
Parmi et immédiatement autour des plantations, on rencontre souvent des arbres fruitiers tel que le Kaki nommé « Hurma » où des Néfliers du Japon.D’autres arbres sont fréquents autour des parcelles, Kadir reconnait l’Aillanthe l’appelle « Kokar ağaç », qui signifie l’arbre mouffette car ses feuilles froissées sentent mauvais. Le Sureau noire (Sambucus nigra) est nommé ici comme ailleurs en Turquie « Mürver ». Les branches des Muriers (Morus nigra) « Dut ağaçları » sont coupées pour servir de fourrage aux ruminants, et leurs fruits transformés en confiture ou consommés frais. Le Noisetier (Corylus avellana) appeler ici « yabani fındık » qui signifie noisette sauvage est aussi très présent. Dans ce climat chaud et humide toutes ses parties sont bien plus vigoureuses qu’en Bretagne. Ces feuilles sont grandes et tendres et ses fruits les noisettes nommées « fındık » sont grosses comme un pouce. Les noisettes cultivées sont l’emblème de la ville de Giresun qui a même érigé des statuts à son effigie.




Noisettetier, Aillanthe, Rhododendron
Baissez la tête sur les plantations de thé, vous verrez que peu d’herbes spontanées réussissent à percer, le dense couvert des buissons de Thé (Camelia sinensis ). La fougère aigle (Pteridum aquilinum) appelée ici « matiçali » comme les autres fougère. Les ronces nommée « Böğürtlen » réussissent sporadiquement à percer le bord des parcelles, et à occuper les jeunes plantations. En cherchant un peu plus encore, il est possible de trouver tout un cortège de fleurs qui survivent en marge des plantations, dans les quelques espaces libres des bords des chemins, des haies et des roches verticales.Kadir qui donnait les noms des arbres reste ici muet, les cueilleuses ont plus de connaissances sur ces petites plantes.Les marguerite comme les autres Astéracées son appelées « Papatya ». Des stachys au large feuilles sont nommés « yaban heot » qui signifie chaleur sauvage. Les rumex à larges feuilles sont désignés par le therme Labada. Le Lierre terrestre (Glechoma hederacea) et dit « Nehçe » on peut en faire un infusions. Une grande ortie est nommé « ısırgan otu ». Le Lierre (Hederace sp.) qui court dans les haies et appelé « sarmaşık ». Les autres herbes sont indifféremment regroupées sous le terme « yabani ot » qui signifie herbes sauvages. Les seuls insectes abondants dans les parcelles de thé sont les Panorpes ou mouches scorpion que l’on retrouve fréquemment en sous bois en Bretagne. Ses larves se nourrissent de matière organique en décomposition et les adultes de pollen.



Le soir, les cris aigus des chacals s’élèvent dans le ciel, en réponse à la nuit qui tombe sur la terre. Il s’agit de la même espèce, le chacal doré qui explore de nouveaux territoires jusqu’en Bretagne. Après le repas du soir à l’usine, dans l’obscurité des haies, les lucioles clignotent sur le chemin du retour à la maison.
Pour finir, Kesban qui cueillait le thé chez Kadir veux vous passez un message :
Voici la traduction de ce qu’elle dit : « Tout le monde devrait être ami, frère et sœur dans ce monde, il (Mathieu) est mon frère. Je parle depuis ici, Rize, il faut boire le thé çay juste à Rize pas ailleurs. C’est un gars sympa dont nous sommes très fiers. »
Mathieu à bicyclette
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